Apprentissage Libertin - Chapitre 4
Apprentissage Libertin - Chapitre 4
Les propos sulfureux des deux vieux libertins m’avaient enflammé l’esprit.
Arrivé à bonne température, mon cerveau était en ébullition.
J’étais prêt à réchauffer le plat congelé de ma vengeance et à le servir brûlant à Isabelle.
Non content d’avoir quitté le giron familial pour me dévergonder, je voyais, pour la première fois, le moyen implacable de ma revanche. J’allais rendre à Isabelle la monnaie de sa pièce en cinq actes.
Ma mise en scène en serait tragi-comique.
Je ferais de l’ingénue, à force de longues tirades, une soubrette délurée et réjouie.
J’avais une complète confiance en mes deux comédiens.
À défaut de jeunes premiers, ils m’offraient l’expérience de vieux cabots et je n’aurais qu’à les imiter en toutes circonstances avec l’adresse d’un jeune singe.
Cette première expérience à façonner mon destin serait semblable à la générale d’un théâtre de marionnettes dont je tirerais toutes les ficelles.
La vie du libertin offrait des possibilités inespérées à mon art ménager.
Je ne m’étais point trompé de destinée...
L’arrivée au château du marquis de Rollin-Ledru me ramena vite sur terre.
Le confort du carrosse m’avait fait imaginer une demeure seigneuriale d’une magnificence ineffable.
Notre hôte était visiblement un de ces nobles qui dépensaient une fortune dans les dorures de leurs quatre chevaux, préférant loger dans un galetas de Galicien.
Au bout de l’allée bordée de peupliers, voyant bien le tas de ruines, je me demandai...
Morbleu, où est donc passé le château?
Le corps du bâtiment s’était vraisemblablement écroulé à l’époque de la dernière croisade.
Il ne restait plus qu’une demi-aile flanquée d’un beffroi qui penchait de mal en Pise.
Je priai aussitôt notre Seigneur pour que l’on ne m’y logeât point.
Apostat récent, je ne fus, bien entendu, point exaucé...
Solange, une souillon centenaire, souffrant de flatulence, me précéda dans l’ascension en pétant à chacune des cent trente-six marches. Autant vous dire qu’elle me jouait du Lully...
Arrivé sous les combles, je m’introduisis dans un pigeonnier embaumant la fiente et l’urine de chats.
L’endroit étant à présent désert, j’en déduisis une victoire probable des matous.
Pressé d’aérer la pièce, j’ouvris en grand l’unique fenêtre.
Grâce à l’angle d’inclinaison de l’édifice, je distinguais parfaitement la soue qui s’étalait à son pied.
Les odeurs qui s’en élevaient étaient encore plus épouvantables.
Peu m’importait...
La fatigue me terrassait comme à un maçon italien les macaronis gypseux des romanichels.
Je sautai sur le lit soulevant un nuage de plumes, de poils et de poussière.
J’avais abandonné à la Baie de la Raie mes malles et mes laquais.
Dès le lendemain, je les ferais tous mander...
Pour patienter, j’imaginai des stratagèmes pour attirer Isabelle dans mon piège infâme.
Comme elle aimait la musique par-dessus tout, elle viendrait très certainement à l’invitation de l’une de ses idoles.
Le marquis de Rollin-Ledru pourrait pasticher le grand mandoliniste Kurt Wagram, mystérieusement disparu après le scandale de la manécanterie de Mannheim.
L’idée était excellente!
Les détails de mon plan m’ayant assommé, je m’assoupis...
Lorsque je me réveillai, il faisait nuit et terriblement froid.
Bienveillante, la vieille Solange m’avait apporté une chandelle.
Je n’osais imaginer les risques encourus à me l’y amener.
J’entendais de lugubres craquements et les gémissements du vent qui s’engouffrait dans l’escalier.
J’avais lu plusieurs histoires de châteaux habités par des êtres démoniaques...
Mes deux compagnons étaient-ils de ces fantômes buveurs de sang qui attirent dans leur antre le pauvre voyageur innocent?
J’étais terrifié.
Des chiens ou des loups ou encore des musaraignes hurlaient dans la nuit.
Je ne pouvais rester cloîtré dans ma tour sombre, je me devais d’y voir plus clair.
Décidé à confronter mes vampires, je partirais en courant à la première occasion...
La descente du donjon fut un périple.
Le vent soufflait dans la tour comme un chasseur sourd dans une trompe géante.
Je couvais la flamme de mon autre main tout en tâtonnant du pied chaque marche qu’une fine mousse verte rendait extrêmement glissante.
Je craignais alors moins les fantômes que de me rompre le cou.
Arrivé en bas, j’entendis la petite musique irritante d’un crincrin distant.
Je suivis les fausses notes, illuminant la terrible galerie de portraits d’ancêtres réprobateurs.
Je débouchai finalement dans le grand salon où les deux vieillards étaient attablés devant les restes d’un repas autrefois plantureux.
Les deux libertins m’observèrent avec des yeux écarquillés comme s’ils étaient épouvantés par mon apparition.
J’avançais vers eux lorsque je vis mon propre reflet dans un miroir.
De la tête au pied, j’étais blanc comme linge...
J’en déduisis aussitôt que les monstres m’avaient, pendant mon sommeil, vidé de mes humeurs.
D’ailleurs, les gérontes avaient la bouche toute tachée de mon sang frais.
Je hurlai de terreur manquant presque de m’évanouir.
— Ah, mais c’est notre jeune ami! s’exclama le marquis du Picquet-de-la-Motte. Vous nous avez fait une de ces frayeurs. En vous voyant arriver de la sorte, nous crûmes que vous étiez le spectre d’un bretteur breton briguant ses bretelles...
— J’en vois l’explication, dit le marquis de Rollin-Ledru en posant son verre de vin et en s’essuyant la bouche d’un revers de manche. Votre chambre est un peu vétuste et on y achève des travaux d’embellissement.
Je tapotai mon manteau.
En effet, j’étais recouvert d’une épaisse couche de poussière blanche.
— Vous arrivez un peu tard pour le souper, ajouta le vieux marquis breton, nous avons tout avalé et la domestique est rentrée chez elle. À moins que nous ne l’ayons ingurgitée par mégarde.
Les murs sinistres amplifièrent l’écho de leurs rires joyeux.
— Et lui, il n’est pas manchot..., leur dis-je en montrant du doigt le violoniste atone qui ressemblait à un cadavre fraîchement déterré.
— Malheureux, s’écria l’hôte de la maison. Cet homme est sourd, aveugle et muet.
— De naissance! ajouta le marquis du Picquet-de-la-Motte.
— Il a appris à jouer de la viole d’amour par correspondance, recevant, chaque semaine, d’une égérie ribaude, une note secrète pour son solfège.
— Il aurait mieux fait d’apprendre la couture, répondis-je, assez fier de ma répartie.
— C’est un grand artiste..., précisa le marquis de Rollin-Ledru. Et sachez que les musiciens des libertins sont toujours dénués de sens. Ainsi, ils ne sont jamais témoins des horreurs que nous commettons.
— Allons, mon jeune ami, venez vous joindre à nous, dit mon maître en m’ouvrant ses bras. Buvez goulûment de ce délicieux nectar gouleyant.
Le vin, épais et violacé, était aigre au point d’en déchausser les dents.
Libertin à souhait, il donnait néanmoins un vigoureux coup de fouet.
Je repris vite pied après toutes les émotions fortes de la soirée.
— Vous arrivez à point nommé car nous avons préparé des festivités pour votre arrivée, annonça le marquis de Rollin-Ledru, en se frottant les mains. Figurez-vous qu’à quelques minutes à cheval d’ici se trouve un des couvents les plus débauchés de la région. J’ai commandé à la mère supérieure une charrette pleine de jeunes carmélites qui ne devrait pas tarder.
Mon cœur battit le tambour.
Mes sens se mirent au garde-à-vous.
On allait hisser au mât les couleurs...
J’avais lu un ouvrage secret, vendu sous le froc, décrivant la vie dans ces couvents du diable.
J’y avais entrevu le paradis terrestre.
— Je vous assure, mon jeune ami..., renchérit le marquis du Picquet-de-la-Motte. Il n’existe pas de plus grand plaisir que de déflorer l’innocente bonne sœur... Butiner d’une trompe luxurieuse son pollen religieux... Avaler son nectar chrétien pour lui resservir un miel schismeux...
— Bourde de gros bourdon! s’enflamma incontinent le marquis de Rollin-Ledru. L’unique plaisir clérical est de s’accoupler à une abbesse... Ayant à charge tous ces petits pains bénits, en un coup vigoureux, on fourre la fournée...
— Que nenni! Que nenni! contredit le marquis du Picquet-de-la-Motte. Les plus succulentes sont bien les chanoinesses car, à l’acte impur, s’ajoute l’argent, le plus vil des instruments... En la forçant à payer pour son vice de ses prébendes, j’atteins des sommets helvétiques... Je sécrète en suisse.
— Tête de gruyère! La plus grande jouissance me vient d’une archevêque que je…
— Moment là, Ledru... Il n’existe point de femmes archevêques!
— Détrompez-vous, Lamotte! J’en connais plusieurs...
— Comment est-ce possible?
— Mais voyons, elles sont déguisées... C’est un fait peu connu, je l’admets, mais beaucoup d’ecclésiastiques sont en réalité des femmes qui ont choisi la robe.
— Comment font-elles?
— Elles portent des fausses barbes et les cheveux remontés sous la mitre... Dans ce milieu de travestis, passer pour un homme n’est point difficile. L’Église, comme d’habitude, ferme les yeux...
— C’est ridicule!
— Il paraîtrait même que le pape…
— Le pape, une femme?
— Rien ne nous prouve le contraire.
— Il faudrait aller voir... Un mystère théologique de plus... Le sexe du pape.
— Le pape doit avoir celui des anges..., annonçai-je, soudain plein de fantaisie.
Les deux libertins se tournèrent vers moi comme si je venais de proférer une monstruosité.
J’appris plus tard que les libertins détestaient tout ce qui rappelait les anges, angelots et autres engelures.
Jalousaient-ils les ailes?
Certainement pas les auréoles...
— Elle se fait attendre ta charrette, Ledru..., dit le marquis du Picquet-de-la-Motte, brisant finalement le silence inconfortable.
— Il fait nuit... Les routes sont mauvaises. Ne craignez rien... Je vous promets qu’avant que cette horloge sonne minuit nous aurons planté notre semence en terre sacrée. Je propose que nous buvions moult godets pour nous mettre en condition et, puis, notre jeune ami pourrait nous raconter, de la façon la plus imagée possible, ses expériences dans le domaine du vice. Par exemple, décrivez-nous quand et comment vous avez, pour la dernière fois, gobé l’huître... Sans oublier la couleur, la consistance et les odeurs...
— Euh…, répondis-je, pris de court.
— Allons, nous sommes entre amareyeurs...
— C’est-à-dire…
— Allez, sortez de votre coquille...
— Jamais, répondis-je d’un ton clair.
— Jamais?! s’exclama platement le marquis de Rollin-Ledru.
— Jamais comment?! lui fit écho le marquis du Picquet-de-la-Motte.
— Je n’en ai jamais vu... Encore moins gobé, humé ou même tâté...
— Quelle abomination!
— Quelle ignominie!
— Je me réservais pour ma bien aimée.
— De qui parlez-vous? s’enquit le marquis de Rollin-Ledru.
— Isabelle, je vous ai raconté toute mon histoire.
— Ah bon? Je ne me souviens pas... Que s’est-il passé au juste?
— C’est Isabelle qui, refusant mes avances, m’a poussé au libertinage.
— Quelle honte, à présent... Nous devrions faire quelque chose...
— Justement, vous aviez dit…
— Nous vous aiderons, sacrebleu, ou je ne suis pas libertin!
— Il est impératif, enchaîna le marquis du Picquet-de-la-Motte, que nous vous apprenions jusqu’aux règles les plus élémentaires. Heureusement, nous aurons sous peu de quoi nous mettre sous la langue... Je vous conseille, jeune ami, de garder votre jeu... Usez de vos atouts avec retenue.
— Montez au carreau!
— Fendez le cœur!
— Ah, la belle partie que l’on vous promet...
Tout ceci m’enchantait à un point inimaginable.
J’avais hâte de distribuer ma première main.
Le marquis de Rollin-Ledru se lança ensuite dans le souvenir de sa nourrice qui lui avait tout appris au berceau.
Pour ma part, je n’appris pas grand-chose car l’évocation des souvenirs de l’un endormit l’autre qui, perdant alors tout entrain, finit par s’assoupir à son tour.
Le temps de ne rien dire, je me retrouvai en compagnie de deux vieillards ronflants comme des baleines échouées.
Aussitôt qu’ils furent endormis, le musicien cessa de jouer...
Ce qui me fit supposer qu’il n’était peut-être pas si aveugle que cela.
— Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre, me lança-t-il, en guise d’adieu.
Décidément, tout dans cette demeure était étrange.
Enfin, j’anticipai l’arrivée prochaine des sœurs de Satan.
Mon bas-ventre se comprima.
Je me sentis assailli par ma timidité naturelle.
Qu’allais-je leur dire?
Parle-t-on durant ces affaires?
J’imaginais qu’elles allaient se jeter sur moi et me dévorer tout cru.
L’idée me donna faim....
J’attendis.
Et j’attendis.
Et j’attendis encore.
J’attendis avec pour tout souper mes ongles à ronger.
Mon appétit pour la chair, humaine ou animale, ne cessait de croître avec les minutes qui s’écoulaient.
L’horloge du grand salon sonna enfin minuit.
À part mes deux vieilles chaudières, personne ne vint interrompre ma patience...
Pas la moindre cornette...
Pas la moindre chasuble.
Je voulus réveiller le marquis de Rollin-Ledru pour qu’il me rende des comptes mais je n’osai pas.
Ils avaient tous deux l’air tellement paisible.
On eût peine à croire qu’ils avaient tant de crimes sur la conscience.
Une heure plus tard, je finis par me faire une raison.
Il est vrai que les routes de Bretagne étaient particulièrement mauvaises et, qu’à l’extérieur, la tempête tempêtait.
Croyant encore à l’impossible et ne désirant, en aucun cas, rater ma chance, j’envisageai qu’un peu de lecture me garderait éveillé.
Un libertin, aussi instruit que le marquis de Rollin-Ledru, devait posséder une bibliothèque à faire rosir un gallican de Colmar et verdir sa langue peu mûre.
De tous les écrivains égrillards, mon préféré était, sans conteste, Anonyme...
Lorsque je recherchais des lectures nouvelles chez mon bouquiniste de la rue Saint-Denis, la vue de ce sobre sobriquet ne manquait jamais d’agiter ma morale.
Sous ce masque, se cachait une plume tellement dangereuse que son auteur n’avait même pas osé y apposer le moindre nom, de crainte de salir, par hasard, la réputation d’un inconnu.
Anonyme représentait l’inexistence d’appartenance...
Une invitation à la libre circulation et à la copie.
Un texte sans propriétaire était un texte libre et, pareil à tout état libre, profondément libertin.
Anonyme offrait d’autre part une variété inattendue de plaisirs.
L’auteur étonnait par les mille styles...
Les mille directions qu’il prenait.
Le lecteur sautait allègrement du harem du calife au haras du Calabrais en passant par l’harmonium du calotin.
Anonyme jonglait habilement de tous les vices...
Lesbos...
Sodome...
Sans oublier, Carpentras...
Par comparaison, tous les autres livres et surtout les classiques de la littérature française, semblaient creux et monotones.
On s’endormait au bout de trois paragraphes...
Anonyme, lui, avait l’art de vous garder éveillé toute la nuit...
Et c’était bien ce que je comptais faire.
Je m’emparai de l’unique chandelier et me mis à explorer la demeure.
Je trouvai facilement la bibliothèque, une pièce étroite et humide.
J’en avais l’eau à la bouche lorsque je découvris, à ma grande déception, qu’elle ne recelait que de faux livres, ces ouvrages, simples couvertures de cuir collées sur une planche de bois, qui faisaient tant fureur chez les bourgeois illettrés qui plastronnaient en lecteurs assidus.
Je crus ensuite que ce décor trompeur cachait un cabinet secret abritant les textes licencieux.
Je ne trouvai hélas aucun mécanisme libérateur.
Cette quête avait échauffé mon sang...
Je brûlais d’étudier une gravure honteuse, de parcourir un imprimé impie.
Je ne trouvai pas un seul morceau de papier ou de vers mi-sot.
Frustré, je m’enfonçai dans la demeure.
Si je ne trouvais de quoi lire, je trouverais peut-être de quoi me sustenter.
J’imaginai une orgie autour d’un immense buffet où les courtisanes se goinfraient de mets truculents...
Je crois que le désir de se restaurer peut, selon les circonstances, supplanter le désir de forniquer.
Imaginons la scène...
D’un côté, un poulet rôti au fumet envoûtant et de l’autre, une poulette roturière sous une voûte enfumée...
En sachant que notre homme, isolé depuis une semaine, à l’eau et au pain sec, les mains liées dans le dos, y est amené...
Sur quel oiseau se jettera-t-il, en premier?
Je crois, en ce qui me concerne, que je n’hésiterais pas.
Et puis, je digère toujours mal la volaille...
Brusquement, j’eus une idée de génie, ce qui ne m’étonna pas complètement venant de ma part.
Je savais combien ces vieux châteaux recelaient de caves et de culs de basse-fosse.
C’était sous terre, loin du regard de Dieu, que se commettaient les crimes libertins.
Dans les sous-sols du marquis de Rollin-Ledru m’attendaient peut-être les religieuses qui, au faîte de l’eucharistie d’une messe noire, s’immolent sur le premier lovelace.
Je trouvai un escalier qui s’enfonçait au plus profond gouffre de la terre.
Je vous assure que, avant de devenir un libertin, jamais je n’aurais osé descendre dans une cave au beau milieu de la nuit.
Déjà à l’écoute des chants profanes de mes six reines sœurs, je ne pouvais prêter l’oreille à ma peur.
Je descendis les marches quatre à quatre sans me tracasser du tout du terrain.
Ma descente aux enfers ne fut pas plus périlleuse qu’une descente de lit...
Je me retrouvai dans une grande salle voûtée au sol argileux parsemé de trous profonds.
Le lieu m’inspira cette immense pensée homérique et je m’exclamai tout haut d’un ton pompeux...
— Un coup de râteau l’eut rendu plus lisse mais le manque d’or fait toujours fi des opercules.
La première cave déboucha dans une seconde plus petite.
On y avait entreposé des vieux meubles.
Le marquis laissait vraiment pourrir sa belle situation.
Je poursuivis jusqu’à un escalier en colimaçon taillé de pierres de Bourgogne qui, de par sa faible composition, me fit craindre qu’il finisse en abîme.
J’avançai littéralement sur des coquilles, m’agrippant aux parois suintantes.
Je finis par mettre pied sur le plat d’un caveau rempli des cadavres d’un cellier à vin pillé.
Il y faisait un froid terrible.
J’explorai le lieu mais ne trouvai même pas une bonne bouteille.
Dépité, je m’assis sur ce qui fut autrefois un fût...
Je cherchai dans mon esprit un peu de chaleur et de réconfort.
Je fermai les yeux.
Isabelle m’apparut.
Elle était vêtue d’une tunique de bonne sœur.
Elle priait devant un autel.
D’un coup de vent diabolique, son vêtement lui tomba des épaules.
Nue, elle m’offrit son noviciat...
J’ai honte de l’écrire mais, loin des regards des hommes, je m’étais machinalement découvert.
J’étais à deux doigts d’arrêter mais l’emprise fut irrésistible.
Je dansai le branle, entouré du bal hallucinant de bonnes sœurs lubriques qui se déhanchaient au rythme endiablé d’un Notre Père syncopé.
J’étais Pape.
Isabelle Papesse.
Échaudé comme un enfant de chœur à la lecture d’un missel grivois, je reçus rapidement l’extrême-onction...
L’instant d’après, je fus chassé crûment du septième ciel.
La vergogne d’avoir pollué une crypte étrangère, m’éperonna à fuir au galop.
Mon sabot rencontra ma faute.
Je glissai, perdis un instant l’équilibre et, craignant pour ma position, laissai malencontreusement tomber le chandelier.
Je me retrouvai, les quatre fers en l’air, dans l’obscurité la plus totale.
Rapidement redressé, je réalisai avec angoisse combien j’étais loin sous terre.
Incapable de retrouver mon chemin, je fus parcouru d’une terreur indescriptible.
Les bras tendus, j’avançai à l’aveuglette jurant que, à ma prochaine rencontre avec l’un de ces pauvres frères de la nuit, je ne cracherais plus dans sa main tendue.
On raconte que l’enfer est chaud et convenablement éclairé...
Je vous dis qu’il est froid et obscur.
J’imaginai les morts au fond de leurs caveaux.
L’étaient-ils vraiment?
Et si, de nouveau habillés des ténèbres, ils allaient se lever et danser la dérobée?
Dans ma fuite, je ne cessai de me heurter à toutes sortes de protubérances tranchantes.
J’en eus les doigts en compote et le front en bouillie.
Privé de sens, dans le silence effrayant des ténèbres, j’étais redevenu une bête sauvage.
La moindre déficience diminue immédiatement notre statut d’homme.
Espèce animale douée pour rien, on s’interroge facilement sur notre appartenance à la nature.
Nous sommes trop fragiles.
Nous sommes trop lents.
Nous sommes démunis du moindre atout physique.
Et pourtant, nous sommes les maîtres du monde...
Si l’esprit est notre arme, à voir les abrutis qui habitent nos régions, il n’en faut pas beaucoup pour dominer l’univers.
Il est donc fort logique que, n’ayant point trouvé de prédateur, l’homme devienne un loup pour l’homme.
De cette vérité découle tout notre système de classes...
Une société organisée...
Chapeautée par l’être le plus fort de France et, par définition, le plus noble...
Notre magnifique roi.
Cet ordre, à contre nature, nous semble pourtant légitime, au point de ne pouvoir le remplacer.
Nous avons besoin d’un roi comme les animaux de la forêt ont besoin d’un chasseur.
La crainte de l’autorité nous apporte un réconfort.
Cette appréhension garantit notre sécurité.
Ces libertins étaient bien contents de vivre dans un monde si bien ordonné.
S’il n’existait pas d’autorité pour condamner leurs péchés, ils prendraient bien moins de plaisir à les commettre...
De même, s’il existait, sur cette terre, un pays où tout le monde vivait dans l’égalité la plus parfaite, on y mourrait d’ennui.
L’indolence, tirée de l’égalité, n’est productive en rien.
L’homme est fait pour soumettre et se soumettre.
Jeune noble, je soumets la nature, les sauvages des pays étrangers et le tiers état...
Je n’ai à craindre que les aristocrates plus élevés en rang et les hautes autorités de L’Église.
Si je suis arrivé à cette position, c’est par ma naissance...
La naissance est bien la plus grande des justices.
Chacun naît comme il se doit...
Je vous répète les paroles de notre bon roi qui dit si sagement:
— Le monde est une belle horloge et je suis bien à ma place...
Voilà le beau discours que j’aurais dû tenir avant de partir en voyage.
À présent libertin, rebelle, m’opposant à l’ordre universel, refusant de me soumettre, je me retrouvais perdu dans l’obscurité d’une cave à la merci des dragons fantastiques qui hantent les donjons.
Je réalisais combien cette aventure était une affreuse erreur de jeunesse.
Je n’avais pas l’étoffe du libertin...
Je devais rentrer au plus vite à la maison.