De retour dans ma prison dorée, Louise et son destin abominable ne quittèrent pas mes pensées.
Quelle folie l’avait frappée pour qu’elle commette pareil acte?
Tournant et retournant les circonstances dans mon esprit, je réalisai combien j’étais fautif.
C’était bien moi qui, de mon attitude irréfléchie, l’avais poussée vers cette solution fatale.
J’étais responsable de sa tragédie pour avoir refusé de réfléchir aux conséquences de mes paroles.
Louise aspirait à monter sur scène pour s’élever.
En la chassant, je l’avais détruite.
Pourrait-elle jamais me le pardonner?
— Je dois aller voir Louise à la Salpêtrière, déclarai-je à Spadille dès mon lever.
— Cesse donc de me parler de cette infâme! J’ai bien d’autres chats à fouetter... De plus, un travail immense nous attend. Nous devons tout mettre en place, réfléchir à chaque détail.
— Je suis prêt depuis des lustres... En vérité, j’ai le sentiment que l’on me freine et que je perds mon temps.
— Dès que la pièce sera approuvée par le Théâtre-Français, tout ira beaucoup plus vite.
— Et s’ils disent non?
— Rien à craindre de ce côté-là! En attendant, travaille ta mise en scène.
— C’est déjà fait.
— Recommence!
Spadille m’abandonna de nouveau à une oisiveté forcée.
Je sentais la catastrophe arriver.
À travailler de la sorte, nous ne serions jamais prêts et nous allions devenir la risée de toute la cour.
Un échec signifierait la tombée définitive du rideau.
Dans mes quartiers, je tournai en rond en me rongeant les ongles.
Les sentiments tourbillonnant au fond de mon cœur, je pris alors une décision terrible et irrévocable.
J’allais sauver Louise.
J’allais l’arracher à sa prison.
Tous ne cessaient de me mystifier, de me tenir sous leur coupe et de m’emprisonner.
Il était temps que je me révoltasse, que je me libérasse et que je me transformasse en véritable brave.
Oui, j’allais arracher mon costume de prisonnier pour enfiler celui d’un héros de la liberté.
Mais, pour ce faire, il me fallait des plumes...
Assis à ma table, je me mis à écrire les aventures d’un nouveau personnage, un être surhumain capable de tous les prodiges.
Réfléchissant longuement à chaque action de mon vaillant prince, j’écrivis les répliques, je bâtis l’intrigue jusqu’à ce que la trame me satisfît.
À la dernière page, Louise, débordant d’amour pour son sauveur, finalement démasqué, lui vouait une passion éternelle.
Une excellente histoire!
À présent que j’avais ce rôle bien en tête, je pus grimper sur ma scène intérieure.
Tout allait fonctionner pour le mieux mais il me fallait un costume.
Le soir venu, sachant Spadille et Églantine au théâtre, j’eus tout le loisir d’explorer leur antre.
La porte n’était même pas fermée.
Leur grande chambre était dans un désordre indescriptible.
Spadille jetait ses somptueux habits à même le sol.
J’en ramassai quelques-uns mais ce n’était pas ceux-ci qui m’intéressaient.
Je recherchais un costume plus voyant.
Je le trouvai enfin...
Pendue à une patère, un somptueux vêtement féminin m’éblouit.
Je décrochai fiévreusement la robe et la plaquai contre moi.
Les perruques ne manquaient pas et sur la coiffeuse s’étalait une collection de poudres, de rouges à lèvres et de fards.
Parfait!
Après une heure d’un travail acharné, je fus aussi prêt que possible.
N’ayant malheureusement point de camériste, j’avais dû improviser mon habillage.
Je ne m’étais pas encombré de dessous.
Je conservai mes bottes et mes hauts-de-chausse.
Le décolleté de la robe me posait un grave problème, que je résolus en nouant un châle sur mes épaules...
Je n’avais pas de temps à perdre à raser ma pilosité.
À présent costumé, je n’avais plus qu’à braver nos chiens de garde.
L’hôtel particulier était entouré d’un haut mur de pierre mais j’avais remarqué que le jardinier gardait une échelle du côté des arbres fruitiers.
En passant par les jardins, j’éviterais du même coup les Calabrais qui patrouillaient à l’entrée.
Ayant glissé un polochon dans mon lit pour créer l’illusion que j’y dormais, je soufflai les bougies et ouvris délicatement la porte-fenêtre.
Il était presque onze heures et le temps pressait.
De mon balcon, je m’accrochai à la vigne vierge.
Dans ma descente, je déchirai l’ourlet de la robe qui se prit dans le crochet d’un volet.
Arrivé sur l’herbe, j’examinai les dégâts.
J’arrachai l’étoffe pendante et me hâtai vers le fond du jardin.
Comme prévu, je trouvai l’échelle que je calai contre le mur.
Des grognements canins se rapprochaient...
Une fois juché sur le faîte du rempart, je fus rassuré, car les chiens ne pouvaient plus m’atteindre.
En dessous, la ruelle était éclairée par une lanterne distante mais la hauteur du mur était terrifiante.
Allais-je me rompre le cou en sautant?
Je n’avais pas le choix, j’entendais les chiens se rapprocher.
Ma mission requérait inévitablement que je me mette en danger.
Je fermai les yeux et m’élançai.
Une fois dans l’air, je sentis la robe se gonfler mais cela ne suffit point à me ralentir.
Je heurtai fortement le pavé et roulai à terre en déchirant un peu plus la belle robe de taffetas.
Assis sur le sol crasseux, je repris mon souffle en me massant les chevilles tandis que, derrière la paroi, les chiens aboyaient furieusement.
Tout à coup, je sentis une présence.
Je levai la tête et découvris le canon d’un mousquet pointé vers mon visage.
— Qui va là? demanda l’ombre.
Devant la menace d’une arme à feu, mes douleurs s’envolèrent.
Me redressant d’un bond, réajustant ma perruque et brossant de la main ma robe, je reconnus, malgré l’obscurité, un costume de gendarme.
Avec une petite voix gracieuse de jeune dame, j’informai immédiatement le veilleur de nuit de ma situation...
— Ce n’est rien, monsieur le gendarme. Tout va bien...
— Qu’est-ce que tu fais ici à cette heure?
Méfiant, le gendarme, haut comme trois pommes, fronça ses petits yeux.
— Rien… Rien du tout. Je… Je suis tombée.
— Tombée d’où ça?
— Du… Du… D’une…
— D’une?
— D’une montgolfière...
— Une montgolfière?!
Aussitôt, le bonhomme leva les yeux au ciel en scrutant les nuages épars.
— Où-ce qu’elle est? demanda-t-il, curieux.
— Elle est déjà loin... J’en suis tombée par mégarde. C’est qu’on s’amuse tellement, là-haut, qu’on oublie complètement qu’on est dans les airs.
— Et pourquoi, diable t’es-tu point brisée au sol?
— Ma robe m’a ralentie.
— Ta robe?
— En chutant, elle s’est gonflée... Elle est très large, comme vous voyez.
J’exécutai une pirouette qui gonfla un peu la jupe.
Le gendarme lissa sa moustache, dérangée par le courant d’air.
— Eh bien, il est tard, l’informai-je, et mes parents m’attendent. Tiens donc, je suis presque chez moi... Quelle coïncidence!
— Moment, ma petite voleuse! Il faudrait tout de même pas prendre Ernest Poireau pour un imbécile... Ta robe est toute déchirée, pour sûr que ça ne pourrait point marcher! C’est que, vois-tu, je suis un mordu d’aéronautique... J’étais témoin lorsque le sieur Blanchard jeta son chien de sa nacelle... Je peux t’assurer qu’on lui avait point enfilé de robe. Ce dont tu parles s’appelle un pas-la-chute et ça ressemble à un gros champignon.
— Un champignon volant?
— C’est que j’en connais un rayon, pardi! Et pour tout te dire, je t’ai vue sauter du mur... Tard le soir, tu m’as plutôt l’air d’une fille légère.
— Pas du tout!
— Et je t’assure que tu t’y prends rudement mal.
— Pardon?
— T’as pas le bon costume! Ici, t’es chez les riches et les riches ils veulent que des souillons... Ton costume de comtesse des airs, c’est bon chez les pauvres. Et puis, tu ne montres pas assez ta marchandise. Couverte comme t’es, on dirait que t’as peur des coups de vent... Ça n’ira point! Dis-moi, débutes-tu dans les virevoltes?
— Oui...
— Alors, lève les mains au ciel!
— Pardon?
— Ah, ah! C’est que je suis un sacré malin! Par ma ruse, je viens de te faire avouer que tu tapinais au grand air... Faut que je t’embarque, ma petite. C’est mon devoir!
— Votre devoir?
— Ordre du roi! Toute femme, fille ou fillette retrouvée dans les rues entre dix heures du soir et cinq heures du matin doit être transportée immédiatement dans un hospice de la ville.
— Un hospice? Quel hospice?
— La Salpêtrière! me confirma le gendarme.
— Vous voulez m’emmener à la Salpêtrière? demandai-je, sans trop y croire.
— Ben, ouais!
D’une humeur regonflée par cette perspective providentielle, je lui baisai la joue et lui pris le bras pour l’entraîner au plus vite.
— Il avait quelle taille le chien? demandai-je à mon spécialiste.
— Le chien?
— Le chien sous le champignon...
— Au départ c’était un basset mais à l’arrivée c’était un gros berger... L’a tout de même mordu le médecin qui voulait examiner ses pattes brisées.
Nous arrivâmes devant un poste de police où patientait toute une troupe de femmes dépenaillées et hideuses.
— C’est comme ça qu’il faut s’habiller! m’informa gracieusement mon savant compagnon.
Baissant le nez, je rejoignis mes concurrentes.
Malgré cet opprobre, j’exultais intérieurement à la pensée que je serais bientôt aux côtés de Louise.
Après une longue attente, nous fûmes poussés par deux soldats libidineux à bord d’une carriole qui faisait le ramassage.
En chemin, je sifflotai joyeusement l’air d’Au Clair de la Lune.
Quelques passagères se joignirent à moi.
J’eus l’envie de leur apprendre les paroles de ma chansonnette.
Usant de ma voix la plus cristalline, j’entamai...
— Au clair de la lune, mon ami Pierrot. Prête-moi ta plume…
Ces dames furent enchantées de l’intermède musical, de même que les deux soldats.
Ils ne mirent pas longtemps à apprendre le livret en entier et notre voiture fit résonner les ruelles de ma mélodie du bonheur.
C’est donc avec entrain que nous arrivâmes aux portes de l’hospice de la Salpêtrière.
Cessant néanmoins de chanter dans la cour de la lugubre institution, nous fûmes conduites dans une grande salle voûtée.
Le geôlier, qui ne cessait de bâiller et qui empestait le mauvais vin, notait dans son grand livre les noms des nouvelles arrivantes.
— Nom?
— Madeleine, sans patronyme.
— Profession?
— Couturière.
— Nom?
— Blanche, sans patronyme.
— Profession?
— Couturière.
— Nom?
— Élise, sans patronyme.
— Profession?
— Couturière.
Et ainsi de suite…
Toutes signaient d’une croix.
Bien vite, je fus poussé devant la table du geôlier.
— Nom?
— Euh… Églantine.
— Églantine comment?
— Bellanzini... Profession... Comédienne.
À entendre ce nom fictif aux sonorités transalpines, le geôlier blêmit.
— Qu’est-ce que tu fabriques ici? siffla-t-il entre ses dents. Allez, fiche le camp!
— Mais… Mais, je ne veux pas partir! l’informai-je.
— C’est bon! Tu peux filer, je te dis...
— Non… Je reste!
— Je ne veux pas d’embêtements... Débarrasse le plancher!
Refusant de me laisser impressionner, je lui pris la plume des doigts et signai le feuillet de belles grosses lettres bien lisibles.
— Ah, malheur à moi! conclut le geôlier en se tenant la gorge.
Une fois notre enregistrement terminé, notre colonne traversa silencieusement un dédale de cours et de salles pour arriver dans une toute petite pièce aux murs badigeonnés de blanc.
— Le médecin va vous examiner, nous informa notre gardienne.
Un médecin?
Voilà un rebondissement que je n’avais point anticipé dans mon canevas...
Pour dire vrai, depuis que j’avais sauté du mur, rien de mon aventure ne s’était déroulé tel que je l’avais échafaudé.
Si j’étais bien au bon endroit ce n’était point en riche parente mais en triste souillon...
À la lumière d’un bougeoir, le médecin auscultait sommairement les nouvelles arrivantes.
Lorsque ce fut mon tour, je saluai chaleureusement le philanthrope éclairé.
— Bien le bonsoir, cher Docteur Guillotin...
— Tu me connais? s’étonna-t-il.
— Il y a quelques mois de cela, vous m’avez ravaudé.
— Ma pauvre petite, si le sort t’a gracieusement libérée de ces murs, ce n’est point pour que tu y reviennes... N’as-tu pu retrouver le chemin de la vertu et de la décence?
— En vérité, nous nous sommes rencontrés à Bicêtre.
— Bicêtre? Comment est-ce possible? balbutia le bon docteur.
— C’est qu’à l’époque, j’étais un homme...
Cette remarque fit éclater de rire toute l’assemblée.
Je savourai mon petit intermède théâtral.
Le travestissement ne trahissait jamais l’auteur comique.
— Un chirurgien monstrueux, la lie de notre profession, se serait-il essayé à des abominations contre nature? s’effraya le médecin.
— Non, je suis toujours homme.
Notre public s’esclaffa de plus belle.
Dépassé par la situation, le pauvre docteur Guillotin en perdait la tête...
— Silence, Mesdames! Je vous en prie! Silence!
Le médecin approcha sa chandelle tout près de mon visage.
D’un geste, il ôta ma perruque.
— Matador! s’écria-t-il d’un effet involontairement appuyé.
Son visage stupéfait était si risible que je ne pus me contrôler.
Mon rire à gorge déployée se communiqua à mes compagnes et même à la gardienne.
Seul le bon docteur était encore impassible...
Puis, lentement, le grotesque de la situation le contamina.
Il ne put s’empêcher d’épouser, à son tour, notre fou rire inextinguible.
La crise dura quelques minutes avant que le calme ne revienne.
— Vous… Vous souvenez-vous de moi? demandai-je, en essuyant mes yeux et en me mouchant fortement.
— Je n’oublie jamais une tête surtout lorsque je l’ai recousue.
— À la bonne heure! Alors, vous témoignerez de mon caractère... Toute cette mascarade n’était qu’un stratagème pour pénétrer en ce lieu.
— Vous autres gens du spectacle, vous ne cesserez de me sidérer... En effet, j’atteste de votre qualité d’homme. Vous avez de la chance que la nouvelle loi sur le commerce charnel ne s’applique qu’aux femmes. Il semble que des gens haut placés s’acharnent à chasser le petit commerce des rues afin que les clients s’approvisionnent dorénavant dans les grandes maisons qu’ils régissent... Dieu que la France est mal gouvernée! On punit les misérables en protégeant les mécréants! En quoi puis-je vous aider, cher Matador?
— Je dois retrouver quelqu’un...
— Qui?
— Une jeune femme du nom de Louise Champard.
— Ce nom ne me dit rien... Pourquoi l’a-t-on enfermée?
Ne pouvant répéter le crime en public, puisque toute la troupe de femmes était suspendue à nos lèvres, je m’approchai de l’oreille de mon médecin pour y souffler ce que je savais.
— Je crois savoir de qui tu parles, me confirma-t-il d’une grimace. Mais, son véritable nom est Louise Caroline Maunier... Nous avons pu l’identifier car les gardiennes les plus anciennes se souvenaient d’elle. La fille d’une comédienne autrefois célèbre, qui fut victime de sa notoriété.
— Je suis très heureux de savoir qu’elle est bien ici, dis-je, convaincu qu’un dénouement favorable s’approchait.
Le docteur Guillotin fit signe à la gardienne d’emmener les détenues.
J’en profitai pour ôter ma robe.
— Vous devriez vous débarbouiller le visage, m’enjoignit le médecin. Vous ressemblez à un libertin...
— Un libertin? Qui sont ces gens dont j’entends constamment parler?
— Du théâtre de la vie, cher Matador, ce sont assurément les clowns... Ce sont de grotesques penseurs qui, au nom d’une liberté qu’ils se sont inventée, font preuve de la pire des conduites. Allez, suivez-moi! Votre arrivée inopportune nous donne une chance inespérée de faire le bien.
— Comment?
— Louise Maunier a fort besoin d’être sauvée.
— Que lui est-il arrivé?
— Elle n’a pas commis le crime dont on l’accuse mais, au contraire, a été victime de la plus barbare des agressions.
— Que s’est-il passé?
— Quelqu’un… Lui a dérobé son enfant… Alors qu’il était toujours en elle!
L’odieuse vérité me pétrifia.
— Comment? Qui?
— Personne ne le sait... Elle nous a été livrée dans la nuit, mourante... C’est un miracle que je fusse présent et que j’aie pu la sauver. J’ai dû user des techniques les plus révolutionnaires de la chirurgie. Le pire est que, le lendemain, la haute justice de notre pays l’accusait d’un crime qu’elle ne pouvait pas avoir commis... J’ai eu les plus grandes difficultés à la sauver du bourreau.
— Et l’enfant?
— Mort… Ou envolé... Je n’ose imaginer les crimes de mes confrères.
— Parlons-nous vraiment de la même personne?
— Je l’espère bien... Mais, pour la sauver, ce sera à vous de vous sacrifier.
— Comment?
— En mentant devant le juge et en l’épousant publiquement...
— L’épouser?
— Il faudra surtout vous démasquer et nous révéler vos origines... Matador ne sera point suffisant... De mon côté, je contacterai un orphelinat. Ce ne sont pas les rejetons qui manquent. À vous trois, vous ferez suffisamment illusion devant la loi... Je compte sur vos talents d’auteur et de comédien pour broder une explication crédible.
La proposition freina mon élan.
— Vous hésitez? inféra le médecin. N’êtes-vous point prêt à sacrifier votre avenir pour sauver une vie?
— Euh… Oui, balbutiai-je. Mais, voudra-t-elle s’y prêter?
— C’est ça ou la mort!
Nous traversâmes de grandes salles où dormaient, entassées, des femmes de toutes conditions.
La plupart étaient accompagnées de leur marmaille.
Quelle déchéance!
Quelle misère!
— Oui, cher Matador, voilà de quoi votre théâtre devrait parler... Plutôt que de présenter la France en nation d’illustres fortunés, dépeignez la médiocrité et l’arbitraire qui y règnent. Décriez la souffrance du peuple... Osez critiquer et dénoncer le système injuste qui nous régit.
— C’est fort dangereux!
— Vous aurez le talent de le faire d’un divertissement... Revêtu du masque de la comédie, votre message pourra être mieux digéré par des puissants aux estomacs d’une susceptibilité chronique.
— C’est ce que j’essaie de faire... J’ai écrit une pièce de théâtre qui s’intitule Au Clair de la Lune... J’y dénonce bien des comportements. Je vais bientôt la jouer devant le roi.
— Alors, jouez de tout votre cœur! Qu’il vous aime, notre bon roi et qu’il vous commande beaucoup de nouvelles pièces!
— C’est mon souhait le plus grand...
Nous pénétrâmes finalement dans une salle plus basse où s’alignaient les petites portes des cachots.
— Louise est enfermée ici, confirma le médecin. Ce n’est pas pour la punir mais à cause des autres détenues... Aux yeux de toutes ces mégères, l’infanticide est le plus odieux des crimes. Elles n’hésiteraient pas à faire justice elles-mêmes.
— Mon Dieu!
— Oui, ne l’oublions pas celui-là... En tout cas, je vous préviens, elle n’est certainement pas dans l’état que vous imaginiez.
— Docteur Guillotin, vous me faites peur...
— Moi aussi, je me fais peur, soupira-t-il, résigné.
Le médecin fit un signe au porte-clefs qui nous avait suivis jusque-là.
Ce dernier ouvrit les trois énormes cadenas qui bouclaient la geôle.
Une fois toute cette mécanique agitée, il tira la lourde porte d’acier.
J’emboîtai aussitôt le pas au médecin qui leva sa lanterne.
L’obscurité reculant, nous découvrîmes que le minuscule cachot de Louise était vide.