Nez Grillé - Chapitre 3
Nez Grillé - Chapitre 3
J’arrivai à Nantes dans un état pitoyable.
J’avais clopiné le reste du chemin sans qu’une âme charitable et surtout son âne affable daignent me transporter.
Déjà fort râpées le jour de mon départ, mes bottes n’avaient point toléré ma marche biblique.
Les trous dans les semelles n’avaient cessé de s’élargir au point que ces dernières furent trop vite remplacées par mes plantes de pieds.
Je fis l’erreur de m’en délivrer mais, contrairement aux ruraux locaux, célébrissimes va-nu-pieds bretons, j’avais, dès le plus jeune âge, connu un pied chaussé.
Sensibles et délicates, mes extrémités, au contact du chemin dur et rocailleux de mon pèlerinage pécuniaire, furent meurtries à tel point que chaque pas devint un supplice.
La douleur incessante m’obligeait à adopter la démarche grotesque du douillet, ce qui faisait éclater de rires replets les rustres rencontrés.
Afin d’améliorer ma déambulation, je sacrifiai ma chemise en enroulant des lambeaux d’étoffe autour de mes pieds ensanglantés.
Ce perfectionnement fut immédiatement bénéfique mais, à présent torse nu, je subissais les attaques carbonisantes d’un violent soleil de juin.
L’astre me calcina tant de ses rayons cinglants que je pris, en quelques heures, le teint d’une écrevisse ébouillantée.
J’en convins qu’il était alors préférable de circuler de nuit mais, sans la moindre lanterne, progressant à l’aveuglette, je ne cessais de me heurter aux moindres aspérités.
Arrivé à la porte St Pierre de Nantes, j’étais bien cet être pitoyable mentionné en préambule de chapitre dont, à présent, vous vous faites une image plus juste.
La ville m’étant inconnue, je sautillai jusqu’à l’ombre d’un mur pour y déballer mes pieds martyrisés et réfléchir à la suite.
Ayant posé au sol mon tricorne afin qu’il séchât, je fus ébahi lorsque, dans l’instant suivant, un passant y déposa une pièce de monnaie.
J’examinai le contenu de mon couvre-chef lorsque je découvris, stupéfié, que l’obole n’était point un sou ou un demi-sou ou encore un liard mais bien un louis d’or tout étincelant.
Je levai les yeux vers mon bienfaiteur et découvris un grand bourgeois tout chauve, richement habillé, qui ponctua d’une salutation bienveillante sa charité.
— Monsieur, je ne puis accepter pareille aumône! m’exclamai-je, envahi de fierté.
— Et pourquoi donc? me demanda le cossu.
— C’est trop!
— Un mendiant qui fait la fine bouche... On aura tout vu.
— Je ne suis point mendiant.
— Je le sais, mon ami, ce n’est qu’une passe difficile.
— Je vous assure!
— Oui, mon garçon, tu es brave et honnête et ce n’est que la soif qui te pousse à la mendicité.
— Il est vrai que j’ai fort soif...
— Allons, mon brave, la taverne t’attend. Va boire à la santé de ton bienfaiteur, à la santé de Jacques Laugier qui vient de faire fortune!
— Vous avez fait fortune?
— Il n’y a pas une heure de cela! Et, tout compte fait, cette pièce d’or n’est pour moi que menu fretin.
— C’est donc bien vrai ce que l’on dit de Nantes, qu’on y trouve la fortune à tous les coins de rue.
— Il n’est point de plus grande vérité!
— Comment? Où?
— Rien de plus facile, mon garçon... Il suffit que tu présentes ton capital à la taverne des Deux-Chênes.
— Mon capi… Comment? La taverne des Deux-Chênes?
— Mais je te préviens, bougre, tu y rencontreras le Diable!
Le sieur Laugier éclata subitement d’un violent rire avant de poursuivre son chemin prospère.
Je devinai dans ce libéral personnage un messager du destin qui signalait ma conduite.
J’eus pu, de cette pièce d’or, m’acheter maints repas, un trousseau, des souliers neufs mais je fis fi de mon bien-être immédiat pour me lancer, sans hésitation, dans la réalisation de mon fatum.
Ma foi, si ce citadin en était capable, sûrement que dans l’heure, je deviendrais son égal.
Je me mis aussitôt à louer Jean Beurre (que j’avais pourtant maudit tout le reste du trajet) de m’avoir dirigé vers une cité où tous les desseins monétaires s’exauçaient si commodément.
Et, à observer la population des rues, vivace, replète et joyeuse, je compris que l’argent coulait à travers Nantes aussi généreusement que la Loire.
Informé à présent de sa source, je claudiquai aussitôt à la recherche de la taverne des Deux-Chênes pour y présenter mon capillaire.
Je questionnai nombre de passants mais aucun ne semblait connaître cet établissement.
Regrettant de n’avoir point demandé de précisions au bourgeois, j’errai si longtemps à travers les ruelles grouillantes que j’aboutis sur les quais.
La vue des mâts élancés se balançant pareils aux doigts filandreux d’un géant enseveli me fit enfler le cœur.
Les embarcations étaient si nombreuses qu’on entrevoyait à peine le fluide qui les soutenait.
Le vent marin avait dégagé la pestilence de la ville et je humais l’air grisant du large, ce mélange hétérogène d’embruns salés, d’algues fraîches et de mouettes crevées.
Je sentis au fond de mon squelette vibrer l’hymne de l’aventure.
Je me vis sillonnant le globe aux commandes d’un voltigeant navire pour atteindre des contrées aussi exotiques que l’Autriche.
Un regard brûlant posé sur ma personne me détourna de mes songes baroques.
Assis sur une bitte, un vieillard tout mal fagoté et d’une laideur repoussante m’observait en mordillant sa pipe éteinte.
Comme s’il lisait dans mes pensées, il me demanda:
— Tu cherches l’aventure, petiot?
— Pardon?
— Je vois que tu viens de débarquer avec ton air de jocrisse et tes loques de mendiant. Tu cherches un équipage?
— J’admire le paysage.
— Prends garde, petiot! La mer est une grosse bonne femme revêche et teigneuse. Tu la crois facile? Tu t’imagines qu’elle va t’offrir ses colossales mamelles? Tu te leurres, petiot! À peine grimpé sur son dos, elle va t’en faire voir, te houspillant, te rossant, te ballottant si bien que tu ne sais plus qui de l’envers est l’endroit. Puis, accroché au dernier cordage qui te retient à la vie, v’là qu’elle te pète en plein visage un cyclone, aussitôt suivi d’un typhon. C’est que j’en ai vu des jeunes inconscients comme toi, broyés sous les roues d’un canon, écrasés par un mât brisé, enlevés par une lame de fond, noyés dans une mer glacée, dévorés vivants par des requins ou, pire encore, par un banc de harengs! J’en ai vu des matelots fouettés, pendus, écartelés, flagellés, lacérés, déchiquetés, éviscérés, mis en charpies, puis mis en lambeaux, puis mis en pièces… Et, là, je ne parle que de ceux qui avaient de la chance. Alors, petiot, t’as toujours envie de t’enrôler?
— Ah, non!
— Non? Comment ça, non?
— Non!
— Allons, fiston, ce dont je parle fait le bonheur du matelot. Imagine, qu’un jour tu reviendras, aussi beau et fort que je le suis, narrer aux passants le maelstrom magistral du marin.
— Non, merci.
— Tu ne vas point t’embarquer?
— Que nenni!
— Ah, les jeunes de nos jours, tous des paresseux et des bons à rien. Retourne donc d’où t’es sorti, cloporte!
En conclusion, le vieillard cracha un immonde jus noir dans ma direction qui n’alla pas plus loin que le bord de son menton.
Je m’éloignai sans demander mon reste.
Toujours à la recherche de l’insaisissable taverne des Deux-Chênes, je m’échinai à explorer plus systématiquement la cité.
Je finis par tourner en rond.
Épuisé, affamé, assoiffé, je soufflais sur le bord d’un quai lorsque je reconnus aussitôt le vieux fou du matin.
Il n’avait pas bougé d’un pouce.
Je feignis de l’ignorer lorsque, tout à coup, j’entendis:
— Tu cherches l’aventure, petiot?
— Pardon?
— Je vois que tu viens de débarquer avec ton air de nigaud fatigué et tes haillons de mendiant. Tu cherches un équipage? Prends garde, mon gars! La mer est une grosse femelle rogue et bourrue. Tu la crois facile? Tu t’imagines qu’elle va t’offrir ses phénoménales tétines? Tu te leurres, gamin... À peine sur son dos, elle va t’en faire voir, te houspillant, te rossant, te ballottant si bien que tu ne sais plus dans l’endroit si t’es à l’envers. Puis, accroché au dernier cordage qui te retient à la vie, v’là qu’elle te pète en plein visage un ouragan suivi d’une tornade. Tu me rappelles Jacques Morvan, dit « Cricou la Bassine », tombé par-dessus bord en mer d’Iroise, il fut avalé par une baleine pèlerine. Sept ans, qu’il logea dans son ventre, avant d’être éjecté en mer d’Irlande. Repêché par une baleinière de Balaklava, il fut servi en hors-d’œuvre au maharadjah de Maracaïbo! Ha, ha, ha, ha! Alors, tu as toujours envie de t’enrôler?
— Je cherche avant tout la taverne des Deux-Chênes.
— La taverne des Deux-Chênes, tu dis? Hummm… Connais pas. Et pourtant y’a pas une taverne de Nantes que je ne connaisse point. Pareil de Nankin, Nantucket et Nancy!
— J’ai dû mal comprendre.
— Je te conseille la taverne du Brodequin de Séville. Tu trouveras tous les matelots dans ton genre, la racaille des marins, la vermine des nautoniers, la fange des… des… C’est que tu cherches l’aventure, petiot? Tu vas la trouver! Tiens, tu me rappelles Jacques Lemaignan, dit « Craquin le Criqueau du Criquet », estrapadé par des pirates javanais, il fut avalé par une murène de Murcie…
Alors que le vieillard élucubrait sans retenue, j’eus soudain une idée.
— C’est peut-être bien la taverne des Deux-Chaînes que je recherche! m’exclamai-je, interrompant le vieux loup de mer.
— La taverne des Deux-Chaînes? La taverne des Deux-Ancres? Ou encore la taverne des Deux-Roues?
— La taverne des Deux-Chaînes!
— Ouais, je la connais mais elle a changé de nom. On l’appelle dorénavant la taverne des Deux-Fers parce que ça portait à confusion avec la taverne du Dauphin. Mais, prends garde, gamin! La taverne des Deux-Fers, c’est la porte des enfers!
— Pouvez-vous m’y diriger?
— C’est dans la ruelle, par là, juste devant toi. À côté de la mercerie, à gauche du boulanger, en face du cordonnier, sous la blanchisserie… Mais, si j’ai un conseil à te donner, matelot! N’y mets jamais les pieds!
— Pourquoi donc?
— Le Diable y boit son vin et il te volera ton âme aussi sûr que je m’appelle « Cri-Cri le Criquet Croquant ». Le temps de réciter ton Notre Père et tu auras les entrailles dévorées par des diablotins, les viscères hachés par des harpies, les boyaux arrachés…
J’abandonnai une nouvelle fois le vieillard à ses divagations divinatoires.
À l’entendre, les enfers étaient plus doux que la vie du marin breton.
Je trouvai facilement l’établissement qui, en guise d’enseigne, se signalait sinistrement par deux fers de prison.
Recoiffant ma chevelure grasse de mes doigts crasseux, je fus pris d’une grande appréhension à pénétrer le lieu.
Puis, ayant regroupé assez de force morale, je vis le panneau qui interdisait l’entrée aux clients démunis de chemise et de chaussures.
Malheur!
J’avais la fortune à portée de main mais point la tenue adéquate pour m’en emparer.
Je cherchai du regard une solution immédiate.
Pour me défier, j’aperçus un peu plus haut dans la ruelle, une chemise qui séchait à une fenêtre et une paire de sabots devant la porte.
L’idée du vol me traversa l’esprit.
J’hésitai.
À sa porte, le Diable me narguait déjà.
Je compris qu’une fortune instantanée réclamait le renoncement à tous principes moraux couplé à l’ultime sacrifice pileux!
Sans hésiter plus longtemps, je dérobai chemise et sabots et me précipitai dans la taverne.
Encore tout tremblant après mon larcin, je me décoiffai par déférence.
Le tenancier me salua d’un hochement amical de la tête.
Le local, étonnamment clair et propre, était vide si ce n’est pour un bourgeois, attablé au fond de la salle, qui écrivait dans d’épais livres tout en fumant sa pipe.
Me voyant observer l’individu, le tenancier me confirma:
— Méfie-toi, mon gars. Ce bourgeois, c’est le Diable!
— Je le sais, lui répondis-je.
— Alors, tu sais pourquoi tu es là! maugréa-t-il.
Mû par la fougue irréfléchie qui dévorait ma jeunesse, je me muai subitement en homme.
Je bombai le torse pour, d’un pas intrépide, rejoindre la table habitée.
Au son de mon approche, le Diable leva en l’air un long doigt mince et crochu afin que je ne l’interrompisse point.
Je crus qu’il récitait la prière satanique d’une messe noire lorsque je compris, en observant une longue série de chiffres alignée dans son grimoire, qu’il pratiquait la science occulte de la mathématique.
— Je pose cinq et je retiens deux… Mmmmm… Mmmmmm… Mmmmmmm… Cinq et six, onze et cinq, seize… Pour un total d’un million-six-cent-cinquante-deux-mille-huit-cent-quatre-vingt-douze!
Le démon nota le nombre calculé en bas de la page.
De ma vie, je n’en avais vu un si long.
D’une maigreur extrême et d’une pâleur maladive, le Diable avait la peau si transparente qu’il eût pu compter ses propres veines.
— Que puis-je pour toi, mon garçon? me lança-t-il d’une voix de prêtre défroqué.
—…
Je devins devant le Malin aussi loquace qu’en compagnie d’Odile.
— Je le sais! Tu viens chercher fortune...
Il possédait bien entendu tous les pouvoirs dont celui de lire dans les esprits trop faibles.
— Oui, messire! répondis-je en me courbant servilement tout en présentant avantageusement ma crinière.
— Combien? demanda-t-il.
Il mordait à l’hameçon de mon scalp et je crus qu’il allait saisir l’occasion aux cheveux.
— Je ne sais rien des cours de ce marché, répondis-je en marchandeur.
— Morbleu, je ne suis point poissonnier, rétorqua-t-il. Il ne s’agit pas de ce que tu veux mais bien de ce que tu possèdes!
Le Diable avait raison et nous n’allions pas, à présent, les couper en quatre, conclus-je, intérieurement.
— Je ne tiens pas à un seul de mes cheveux! m’exclamai-je fièrement.
— À la bonne heure, mais combien? Combien?
— Euh… Beaucoup!
Ma réponse lui tira un sourire qui ne déforma qu’un peu plus son visage effrayant.
— Tu ne vas tout de même pas réclamer tout le gâteau.
Voilà qu’à présent nous replongions dans la pâtisserie.
— Euh… Non, répondis-je, déboussolé.
— Alors, combien de parts?
— De parts?!
— Deux parts? Te voici bien modeste à présent... Allons, tu peux mieux faire.
— Alors, une tranche, fis-je de plus en plus désorienté par ce discours à s’arracher les cheveux.
— Une part de part? Nous n’allons point dans le bon sens. Alors, qu’est-ce que ce sera? Une demi part? Un quart de part? Pas moins qu’un huitième.
— Un huitième?!
Le Diable hocha la tête de déception.
Je crois qu’il n’entendait point mes interrogations.
Il ralluma sa pipe et tira dessus jusqu’à en faire rougeoyer le manteau.
Il était concentré à me détailler tel un joueur de cartes au moment d’une partie fiévreuse.
Il me rappela mon père, ce qui ne fit que décupler ma terreur.
— Combien as-tu véritablement, mon garçon? me demanda-t-il, enfin.
— Combien de cheveux?
— De louis!
— Combien de cheveux de Louis?
— De louis d’or, bon sang! Combien as-tu de louis d’or? m’interrogea-t-il, impatient.
Je serrai anxieusement mon trésor dans le creux de la main.
Je m’étais leurré en imaginant que ma fortune se réglait en nature.
Le Diable ne s’intéressait qu’à mon or.
— Un, répondis-je, craintivement.
— Un écrin? Un coffret? Un coffre?
— Une pièce.
— Une pièce! Quelle pièce? Une cave? Une remise? Une chambre? Un salon?
Afin de le calmer, je déposai mon unique richesse sur la table.
Le Diable en devint livide, ce qui représentait chez lui un phénomène.
— Mon garçon, en temps normal, je me serais furieusement emporté de la perte de temps que tu viens de me faire subir. Le temps c’est de l’argent!
— Le temps?
— Mais, la journée a été particulièrement bonne. La vie m’est plaisante... Pour te faire plaisir, j’accepte ta pièce et je crédite d’autant ton compte chez moi. Si tu avais possédé mille deux cent cinquante de ses sœurs, je t’aurais inscrit pour un huitième de part. Donc, je t’inscris pour un mille deux cent cinquantième d’un huitième... Ce qui représente?
— Je ne sais pas.
— Ah, les jeunes, ils ne savent plus compter! Ce n’est pourtant point difficile. Un dix millième, mon garçon! Comment t’appelles-tu?
— Anselme.
— Anselme comment?
— Juste Anselme.
— Eh bien, Anselme, sans patronyme... Ta fortune est présentement liée à celle de « La Pourvoyeuse ». Reviens me voir dans un an pour solder ton compte. À bientôt, mon garçon, et je souhaite que, d’ici là, tu aies pris un bain.
— Vous ne me donnez pas de récépissé?
— Je n’oublie jamais un visage et j’évite ainsi de voir monnayer mes quittances dans de douteux échanges dont je n’aurais point mon pourcentage.
Sur ce, le Diable empocha ma pièce d’or avant d’inscrire mon prénom dans son livre satanique.
Lorsqu’il leva les yeux, j’étais toujours debout à attendre, trop bouleversé pour bouger le moindre cheveu.
— Allons, mon garçon... Ce n’est pas la peine de moisir devant moi toute une année.
Comprenant qu’il me chassait, je m’éloignai, à mon tour, livide.
— Je t’avais prévenu, me nargua le tenancier au passage.
— Que m’est-il arrivé? lui demandai-je.
— Ta ruine ou ta fortune selon les vents. La spéculation, mon gars!
— La spéculation?
— J’espère que tu n’as point gagé tout ton bien.
— En réalité, oui...
— Mon pauvre ami, tu t’ouvres les portes de l’asile des pauvres. J’en vois passer tous les jours des comme toi qui rêvent d’une fortune facile. Plus ils sont pauvres, plus ils y vont de leurs économies en hypothéquant leurs fermes, leurs femmes et leurs enfants. Pourquoi, je te le demande?
— Pourquoi?
— Pour un naufrage, mon gars... Un naufrage qui lamine à jamais les espoirs des pauvres gens. Enfin, comment raisonner les fous?
Je quittai la taverne en titubant.
La faim, la soif et la fatigue s’ajoutèrent à mon désarroi.
Je fus pris de nausées.
Qu’avais-je fait?
Avais-je vraiment eu l’espoir que le Diable échangeait, dans une taverne de Nantes, la fortune contre des perruques?
Victime d’un diabolique tour de passe-passe, avais-je jeté du bon or pour abandonner, par-dessus le marché, mon âme à Satan?
J’avais la tête pleine de ces interrogations lorsqu’un grand gaillard me bloqua le passage.
Il me cracha au visage avant de me saluer d’un:
— Rends-moi ma chemise, sale voleur!
Puis, il éleva un énorme bâton dont il me frappa, tel un forcené, le haut du crâne.
Le noir m’envahit et je crus mourir.