Nez Grillé - Chapitre 8
Nez Grillé - Chapitre 8
Réunis dans la grand-chambre, je proposai, en dernier recours, imaginant que le vent du large balaierait les échappements nocifs, d’embaumer le corps du capitaine Garret au grand air.
Monsieur Giraud rejeta catégoriquement cette dernière requête.
Il ne pouvait, se défendit-il, offrir à un équipage émotif un si pitoyable spectacle.
Curieusement, il ne s’offensait pas de faire subir l’épreuve au jeune mousse.
L’embaumement du capitaine Garret se ferait donc à huis clos et j’eus pour assistant le jeune enfant et pour témoin notre nouveau maître.
Giraud, de sa force physique faramineuse, ramena à lui seul le cadavre pour le déposer sur la table de nos repas.
Satisfait de l’ordonnancement, il mit le verrou.
L’enfant et le géant me toisèrent.
C’était à mon tour d’entrer en scène et d’exercer ma profession.
D’une main tremblante, pareille à celle d’un vieillard qui agite sa salière, je m’armai d’une paire de ciseaux.
Découpant péniblement les habits collés, j’osai à peine regarder la nudité livide du cadavre.
L’intimité virile du capitaine Garret, hissée lors de la pendaison et figée dans la mort, ressemblait à un déplaisant mât de misaine.
Le mousse retint dans sa gorge un rire gêné.
En effet, le spectacle était de ce comique choquant, si en vogue de nos jours, qui déclenche une hilarité volontairement étouffée.
Et, devant cette statue pileuse et ventripotente, dont la Mort, médiocre artiste, n’avait su capturer la vie, mes larmes-de-Job ensemencèrent le rire et le chagrin.
— Allez-y, monsieur le médecin... Tranchez dans le lard! m’ordonna Giraud jovialement.
Suant, étouffant, au bord de la syncope, j’élevai le plus affilé de mes instruments.
Aurais-je la force de cet odieux travail?
Si j’avais déjà croisé la mort, je ne l’avais jamais approchée de si près.
Loin d’imaginer qu’un jour je puisse y plonger les mains, n’ayant, qu’au pire moment, baisé le front de mon père, elle ne m’était apparue qu’accoutrée de son double masque, ordinaire et exceptionnel, juste et injuste, saint et impie.
Par ailleurs, le décorum de la religion avait autrefois fait passer la pilule amère.
— Quel bonheur que votre père n’ait point souffert... Mourir dans son sommeil est une véritable bénédiction, ne cessait de me répéter l’abbé Gromaire à l’heure de l’inhumation.
La mort.
Un bonheur et une bénédiction.
Pourquoi cette charité subite à l’intention d’un homme tant haï?
Inclinés à fermer les yeux sur son acte désespéré, les notables voyaient dans le trépas de mon parent une solution à toutes les calamités.
La fin d’un homme est souvent l’expédient à ses difficultés même si on oublie, sur le moment, qu’elles sont léguées, par testament, à la génération suivante.
La mort à bord de la Proserpine était autrement irréelle.
Non content de toucher un damné pendu, on exigeait de moi d’en arracher les viscères afin de garnir l’enveloppe de vieux chiffons gras. Diable, j’ouvrais la porte à la commotion.
Alors que toutes ces hésitations me ralentissaient, monsieur Giraud, cessant de se curer les ongles, brisa le silence oppressant en affirmant:
— C’est bien ce que je pensais, vous n’êtes point médecin!
— Pardon?
— Vous n’êtes point médecin, dis-je!
— Monsieur… je… je…
À la recherche d’un soutien, je me tournai bêtement vers le jeune garçon dont le regard dénonciateur s’attisa.
— Allons, cessez votre comédie, reprit monsieur Giraud, vous avez échoué votre examen. Avant notre départ, je me suis renseigné sur l’officier-médecin de Mongèle. On m’a raconté qu’il avait trois fois votre âge, quatre fois votre volume et probablement mille fois votre expérience. On me l’a décrit comme un marquis licencieux et dégénéré, un libertin effrayant, à l’appétit marqué pour la cruauté et au goût prononcé pour la négresse. À moins que ce ne soit l’inverse... Enfin, sachez que c’est moi-même qui ai convaincu Garret de l’engager en sachant que ce monsieur serait plus facile à rallier. Pour ne rien vous cacher, je crus qu’il avait flairé un mauvais coup de ma part en vous ramenant à bord. Puis, je fus pris de doutes. M’étais-je fourvoyé? Avais-je mal compris? C’est que, votre posture et votre insolente sérénité ont su nous berner. Mais à présent, je suis convaincu que vous n’êtes point officier-médecin et certainement pas ce de Mongèle. Alors, qui es-tu, bougre?
Ce bouleversement de situation, si tard dans notre périple, me fit l’effet d’un coup de masse.
Je demeurai sonné.
— Par les tresses de mes nièces, tu en veux donc au trésor! s’enflamma spontanément Giraud. Que t’a raconté Garret? Tu étais son complice! Que sais-tu?
— Mais rien… Je…
— Allons, tu ne serais point monté à son bord en prétextant d’être de Mongèle si tu n’avais pas de mauvaises intentions. Tu voulais son trésor.
— Mais non… Je… Je…
— Par les messes d’une abbesse, cesse donc de rougir comme une demoiselle! Je n’ai point honte de le dire puisque je suis ici pour la même raison que toi. Ce Garret était le plus fieffé de tous les négriers de Bretagne. Il s’est accaparé, sans faire de vagues, à la barbe des grandes maisons de Nantes, une fortune colossale. À peine ancré en Baie de Loango ou sur les côtes de Guinée, les rois nègres, les agents et les recruteurs se battent pour livrer à son bord leurs plus beaux spécimens. Arrivé à Saint-Domingue, son bois d’ébène se vend immédiatement hors cote. Et, contrairement à ses concurrents qui repartent les soutes emplies de sucre, de mélasse ou de rhum, notre homme repart gorgé d’or. Et ainsi, depuis plus de dix ans! Alors, parle! Qu’a-t-il fait de son trésor?
Giraud s’éleva brutalement de son siège pour, de toute sa masse, s’imposer à moi.
— Par l’étroitesse d’une mulâtresse, où est son or? Des mois que la question m’obsède! Que je lui rôde autour! Cherchant une confidence, observant ses habitudes de fesse-mathieu, rongeant mon frein de ne point le torturer pour le faire parler.
Cruel, hargneux, avide, exalté, je compris brutalement que cet homme, tout autant que moi, n’était qu’un imposteur.
— Qui êtes-vous, monsieur? demandai-je timidement à mon tour.
L’imposant personnage se pencha vers moi si bien que je pus renifler son haleine nauséabonde.
— La fouine! déclara-t-il bestialement.
— La fouine?
— Martin la fouine, en personne!
— Martin la fouine?
— Oui, Martin la fouine, nom de Dieu! Mon nom ne te dit donc rien?
— Euh… Non.
— Allons, quoi… Martin la fouine… Aussi appelé le fourbe foudroyant, le requin de la Loire, la musaraigne des mers du Sud.
— Vraiment, je ne vois pas.
— Je suis pirate!
— Pirate?
— Le plus sournois de tous... Tu connais déjà mon neveu.
Le gamin afficha un sourire enjoué tout aussi faux que celui de son oncle.
Ce Martin était bien nommé et le perfide pécheur m’avait possédé.
Alors que je n’avais cherché qu’à tromper mon monde, c’était bien tout le monde qui me trompait.
— Depuis que les Maures, m’instruisit Martin la fouine, monopolisent le nord-ouest des côtes de l’Afrique et que les Antilles sont si vaillamment patrouillées par l’Angliche, il n’est plus possible d’exercer dignement sa profession de pirate. Je me suis bien intéressé à la traite des esclaves, mais, vois-tu, on nous réclame des agréments et des lettres de noblesse. Nous devons payer des impôts et des droits de commerce. C’est que ces messieurs savent protéger leurs monopoles et, en aucun cas, ne désirent que la roture pirate vienne les concurrencer. Fort logiquement, je me suis ensuite intéressé à leurs biens. Pourquoi ne pas dépouiller ces esclavagistes? J’ai même vu, dans cette entreprise, une cause presque humanitaire... Ce ladre de Garret était une première victime idéale.
— Qu’allez-vous faire de moi? demandai-je raisonnablement inquiet.
— Je devrais te pendre à ton tour mais je crois que tu en sais bien plus que tu ne le dis. Tu as reniflé le magot du capitaine et tu attendais le moment opportun pour t’en emparer. Pour commencer, quelle est cette mystérieuse clé que tu portes autour de ton cou?
— Quelle clé?
— Ne fais point le sot! Le garçon me l’a décrite. Est-ce la clé d’un coffre? Du trésor?
— Non, répondis-je honnêtement. Il s’agit de la clé des soutes. Vous le verrez de vos yeux, notre cargaison n’est autre que de l’eau-de-vie.
— Donne-la moi!
J’obéis sans hésiter.
— Nous verrons bien, conclut-il en l’empochant. En attendant, cessons ces bavardages et passons aux choses sérieuses.
D’un geste, il tira de son dos un pistolet.
Il arma le chien et pointa le canon vers mon cœur.
— Pour commencer, comment t’appelles-tu? me demanda-t-il.
— Anselme.
Je tremblais, pire que sous la menace de Jean de Pont-Aven.
— Anselme comment? Et puis, cela m’est bien égal de connaître ta généalogie. Nous n’avons perdu que trop de temps. Où est le trésor, Anselme? Réponds bien vite ou tu es un homme mort!
Vous comprenez facilement, chers lecteurs, que l’instant était critique.
Je vous l’avoue franchement, il y a peu encore, je me serais agenouillé comme un enfant en pleurant et en suppliant pour qu’il épargnât ma vie.
Mais, depuis que j’étais parti en voyage, descendant de mon arbre, m’émancipant de ma famille, j’avais mis à la tâche mes capacités mentales.
La fourberie et le mensonge n’avaient cessé de me faire réfléchir et ces constantes réflexions, travail dynamique de l’esprit, avaient développé mes capacités à la logique.
— Si vous me tuez, vous ne le saurez point! répondis-je avec méthode.
— Par les prouesses d’une papesse, ça ne va point recommencer! Et d’abord, qui te dit que je vais te tuer? Du plomb à travers ton pied serait plus que propice.
— Je vous corrige, sieur La Fouine, mais, ne venez-vous point de dire : « réponds ou tu es un homme mort »?
— Par les paresses d’une ânesse, c’est une façon de parler! Une formule pirate, si tu préfères...
— Dans ce cas, pourquoi avoir assassiné, le capitaine Garret?
— Qui te dit que je l’ai fait?
— Sauf votre respect, je vous recorrige. Mais, n’avez-vous point dit : « Je devrais te pendre à ton tour… »?
— Par toutes les espèces de cacatoès, cesse donc de répéter ce que j’ai dit! Tu n’es point mon jacquot qui tournique sur mon épaule à rabâcher mes ritournelles. Et, si tu tiens à le savoir, j’ai bel et bien pendouillé ce fou furieux de Garret... Crois-moi, il l’aura bien cherché! Tu veux savoir comment? Alors, écoute bien, mon gaillard!
Bondissant au milieu de notre scène, le pirate adopta l’enflure et la gestuelle pour interpréter sa chronique pirate.
— Je suis à la barre, en plein coup de chien, à craindre de sombrer, que cet illuminé de Garret, sorti de je ne sais où, aboie de faire demi-tour. Il s’est mis dans le crâne de retourner de toute urgence à Nantes. Entendu, je lui crie entre deux brisants, mais contre ton trésor! Voilà que le dément éclate de rire! Il m’a déjà reniflé. Il sait qui je suis et j’évoque pour lui la bouffonnerie et la farce! Morbleu, c’est pas le moment de me moquer! Pas Martin la fouine! Je n’en puis plus de l’entendre s’esclaffer. J’enrage! Eh bien, il aura bien choisi son moment... Ma foi, il en vaut un autre! Connais-tu la grande cale, bougre?
— Non, répondis-je.
— Ficelé à une ancre, plongé dans le bouillon... Tu imagines, par une tempête pareille!
— Diable!
— Sacré gaillard! Plus on le lessivait, plus il rigolait! Plus il me défiait! On recommençait! On recommençait! Par les impolitesses d’une comtesse, il était plus têtu qu’un baudet de Batz. Tant pis pour la grande cale... J’ai bien assez de ton navire que je lui dis! Voilà qu’à présent, je lui passe la corde au cou. Cette fois, je le sens, il va parler! Je le hisse. Il gigote. Il se trémousse. Je le laisse retomber! Et là, il parle... Il cesse enfin de rire! Et qu’est-ce qu’il dit? Qu’est-ce qu’il dit?
Le jeune mousse et moi-même étions envoûtés par le macabre récit.
— Qu’est-ce qu’il dit? implorai-je.
— «Je veux que de Mongèle m’embaume et qu’il m’enterre chez moi au pied de mon arbre!» Et c’est à mon tour d’éclater de rire! C’est que je me fichais pas mal de ses dernières volontés. Je voulais son or! Son or! Mais lui ne cessait de me rebattre les oreilles de sa momie! Le coup d’après, agacé, furieux, j’ai trop attendu. Il était mort! Ensuite, on l’a hissé sur la hune pour effrayer ses hommes!
— Vous l’avez tué!
— Ce n’était pas le premier et, j’espère, pas le dernier!
Curieusement, à entendre ce pénible dénouement, j’eus une faible joie en sachant que, contrairement à mon père, esprit rôdeur et maléfique, le capitaine Garret nous épiait des cieux.
Observant le cadavre, je lui trouvai déjà les traits plus paisibles.
— Allez, on ne va pas pleurer un peu de lait renversé. À toi le tour, mon gaillard! Où est le trésor, nom de Dieu?
Les yeux avides du pirate me réveillèrent à la menace planante.
Je ne vis plus que les deux iris noirs de Martin la fouine.
Je n’avais rien à dire.
J’allais mourir.
Baissant la tête pour une ultime prière, mon regard se posa sur le ventre du capitaine Garret.
Durant une fraction de seconde, ce dernier s’agita.
Ma peur décupla.
— Qu’as-tu donc? s’inquiéta le pirate.
Je vous assure, chers lecteurs, le ventre du mort bougeait.
— Son ventre! hurlai-je.
— Comment, son ventre?
— Il y a un homme dans le capitaine!
Le pirate éclata de rire.
— Que me chantes-tu là? me demanda-t-il entre deux hoquets.
Tout à coup, une étincelle fabuleuse embrasa mon esprit.
J’eusse pu me taire et garder mon idée pour moi mais, dans la fébrilité du moment, dans tout ce qu’il exsudait d’irréel et de dangereux, je n’eus que le désir urgent de révéler ma révélation.
Tel un sage exalté, j’élevai aux cieux un index annonciateur pour, d’un coup, le rabaisser avec emphase en m’exclamant:
— Là!
— Quoi, là? ricana le pirate.
— Là! réitérai-je, en pointant toujours du doigt le nombril du capitaine Garret.
— Tu es plus fou que je ne le craignais! s’inquiéta Martin la fouine.
Je savais que par ce geste, j’en avais trop dit mais la logique de ma déduction et l’urgence de voir mon théorème sanctifié chassèrent toute raison.
Tout autant que le pirate, je brûlais de savoir.
— Le trésor est là! insistai-je.
— Dans son ventre? Un trésor? Par les faiblesses de Damoclès, tu te moques, mon gaillard!
— Je vous assure! insistai-je. Le capitaine Garret désirait que je l’embaume afin que je trouve dans sa panse ce qu’il y dissimulait. Je suspecte qu’il souffrait d’affreuses douleurs au ventre car il avalait régulièrement un objet indigeste.
— C’est grotesque!
— Je comprends tout, à présent! exultai-je. Le capitaine s’exprimait métaphoriquement. En se confessant des nègres mal ingérés, il évoquait les profits écœurants tirés de leur esclavage.
— Hein?
Décidément, Martin la fouine ne faisait point preuve d’ouverture d’esprit.
— Laissez-moi faire, je vais vous le démontrer! insistai-je sottement.
— Fort bien, mon gaillard! Alors, tu n’as plus qu’à le crever...
Après tant de choses dites, je me retrouvais à mon point de départ imprégné cette fois d’une toute nouvelle motivation.
Rien à faire, mon destin insistait pour que j’ouvre ce pauvre malheureux afin de plonger en son for intérieur.
D’une main légèrement moins tremblante qu’en préambule, j’élevai ma lame et, sous les regards avides du pirate et de son neveu, parvins difficilement à entailler l’épais cuir de la peau.
Tout en opérant, je me couvris le visage de mon autre main afin de surmonter mon écœurement mais surtout par crainte que le sang ne jaillisse du corps.
Durant ce premier cours d’anatomie, j’appris que, une fois la pompe du cœur éteinte, les humeurs d’un cadavre ne circulent plus.
Tout est figé et gluant.
La vue de cette fente violacée fit remonter à ma gorge d’affreux vomissements.
Attrapant le seau à mes pieds, j’y rendis mon ego sous la complicité amusée de mes professeurs.
En bon tuteur, Martin la fouine m’encouragea à poursuivre de son pistolet.
Ce fut suffisant pour m’enjoindre à ma tâche.
Préférant œuvrer les yeux fermés, je plongeai lentement —mais inéluctablement— les doigts à la recherche de la fortune.
J’ose à peine décrire les sensations traumatisantes que j’éprouvais.
Mon acte s’apparentait à une exploration damnée, à une invasion honteuse de l’ultime propriété privée.
J’étais voleur, brigand, larron, pirate, qui, brisant une fenêtre pour s’y infiltrer, saccageait ensuite la demeure.
Bientôt une main ne suffit plus et j’usai des deux.
Je mis une éternité à dégager ma fouille, arrachant, tranchant, déroulant chaque viscère avant de la jeter dans le seau.
Ne sachant exactement ce que je recherchais, je pris soin d’examiner chaque morceau.
Les tenant à bout de bras, je les triturai entre mes doigts afin qu’ils me révélassent leur contenu étranger.
Faisant une trêve, je réalisai que j’étais souillé de la tête au pied.
Sale, suant, échevelé, tel un assassin fou qui mutile sa victime, je sus que ma damnation s’amplifiait, mon humanité prenait irrémédiablement un mauvais tour.
Où m’entraînait ma folie?
Pourquoi ne pas laisser ce pauvre capitaine en paix?
Pour un trésor?
Pour de l’or?
De l’or?
Des habits neufs?
Un cabriolet?
La charmante compagnie d’une épouse noble et riche?
Odile?
Sur l’instant, le visage de ma bien-aimée me tança d’un regard incriminant.
J’eus hâte de la chasser.
Ma survie épousait ma fortune.
Ma fortune épousait mon trésor.
Mon trésor épousait ma folie.
Quelles honteuses fornications!
Une heure plus tard, je travaillais avec l’indifférence d’un équarrisseur de métier.
Je n’avais rien trouvé et je craignais, de plus en plus, que les maux du capitaine Garret soient légitimes.
Avait-il véritablement avalé des chairs humaines?
La contagion horrifique était à son apothéose, lorsque je sentis rouler sous mes doigts un objet dur de la taille d’une belle noix.
Je me hâtai de l’extraire et de le lancer dans la bassine remplie d’eau claire.
Son reflet brillant valida superbement mon hypothèse.
J’exultai tel un enfant devant un jouet retrouvé.
Le pirate et son neveu vinrent m’encadrer.
J’élevai l’objet ruisselant.
Il s’agissait d’une sphère d’un diamètre d’environ un pouce.
Rien d’autre qu’une grosse bille en or massif.
— Un sacré poids sur l’estomac, m’exclamai-je.
— Il s’agit bien d’or mais sa faible taille est loin de le qualifier de trésor, me répondit, déçu, Martin la fouine.
L’emportant vers la lumière de la fenêtre, je découvris qu’elle était ciselée rappelant vaguement un globe terrestre.
— C’est une piste! m’exclamai-je.
— Une piste aux pistoles! s’enfiévra le pirate.
— Regardez! Regardez! m’enflammai-je.
L’enfant, trop petit, sautait sur place tel un pantin monté sur ressorts.
— Que vois-tu? me demanda le pirate.
— Une croix! Une croix! hurlai-je de joie.
Une petite croix était clairement gravée en bordure d’une striure.
— Et, alors? demanda la fouine.
— Mais bon sang, tout bon pirate doit le savoir, une croix marque le trésor! m’écriai-je. C’est là qu’il est enterré!
— Vingt ans que j’exerce cette profession et je n’ai jamais entendu pareille ânerie.
— Euh, oui… En effet, c’est peut-être un procédé de romancier...
— Tu veux dire que tu sais où est le trésor? m’interrogea le pirate.
— Oui! répondis-je, un peu trop précipitamment.
À ces mots, Martin la fouine leva les bras au ciel en chantant sa joie.
Il voulut m’embrasser mais se retint à la vue de mon état piteux.
De même, le jeune mousse me gratifia d’un regard enflé de révérence.
Je compris que ces bienveillants signes d’affection étaient leurs manières de m’accueillir dans une société dont je n’avais jamais imaginé qu’elle ferait partie de mon histoire...
La fraternité légendaire des pirates.